Ainsi va l’amour extrait – Virna DePaul

Ainsi va l’amour extrait

Ce qu’il y a de plus sublime à propos du vaste océan Pacifique, ce n’est pas la vue majestueuse qu’il offre lors d’un matin nuageux du mois de novembre. Ce n’est pas non plus les vagues déchaînées et écumantes, ni même la manière dont il engloutit lentement le soleil à la fin d’une longue journée. C’est l’attitude avec laquelle l’océan fait toutes ces choses. À l’âge de vingt-cinq ans, Conor O’Neill aimait à penser que s’il tombait un jour amoureux – s’il disait un jour ces deux mots magiques à quelqu’un d’autre qu’à sa mère – ce serait alors avec une femme ayant autant de personnalité que l’océan Pacifique.

L’océan ne prenait pas la peine de demander timidement les choses, il ne se demandait pas où aller ou que faire. Il ne passait pas son temps à errer sans but d’un pays à l’autre. Il savait parfaitement que faire, comment se comporter, et il faisait toutes ces choses sans aucun scrupule; qu’il soit calme, en colère, ou bien quelque part entre les deux.

Alors que Con contemplait les vagues depuis sa chaise de plage sur la terrasse couverte de son nouveau magasin de surf à Timber Cove, en Californie, il se demandait : existe-t-il une femme qui serait capable de l’époustoufler et de l’émerveiller d’une manière semblable chaque fois qu’il la verrait ? De lui procurer le sentiment de se sentir à la fois chez lui mais également témérairement libre ? Il jeta un petit galet qu’il regarda rebondir sur le sable.

C’était peu probable. Con avait fréquenté tout un tas de femmes aussi merveilleuses les unes que les autres, mais aucune n’était encore parvenue à faire succomber le loup solitaire qu’il était. Peut-être n’étaient-elles pas à la hauteur de sa mère, décédée il y avait tout juste deux mois de cela. La reine de son cœur avait laissé un vide considérable à combler. Ou peut-être était-ce parce qu’il avait pu voir par lui-même la souffrance qui peut découler de trop s’attacher à quelqu’un, et en particulier à une femme ou à un enfant.

Il avait bien vu à quel point son frère Brady avait été dévasté par la perte de son bébé, Rhian. L’insurmontable souffrance liée à cette épreuve lui avait également coûté son mariage avec sa femme, Elizabeth. Il avait également vu la manière dont sa mère avait pleuré la perte de son père. Et bien évidemment, Con devait encore se remettre de la mort de sa mère, emportée par une rupture d’anévrisme à l’âge de cinquante ans. Partie trop tôt. Et s’il venait lui aussi à perdre sa femme et son enfant ?

Trop de souffrance, pensa-t-il. C’est comme mettre tous ses œufs dans le même panier, pour ainsi dire. Même s’il avait aimé sa mère et son père, et même s’il adorait ses quatre idiots de frères, il était peut-être préférable de ne pas contribuer à la somme de chagrin que les familles produisent souvent sans le vouloir. Contrairement à son frère aîné, Quinn, qui s’était récemment engagé dans une relation à distance pendant que sa bien-aimée était à Miami, Conor préférait rester libre et sans entrave pour ne pas faire de vagues.

À la différence du Pacifique.

Au jour le jour, telle était sa devise, et aujourd’hui, il avait prévu d’apprendre les bases du surf à des gamins. Cela faisait tout juste trois semaines qu’il avait repris la boutique de surf à son ancien propriétaire, et il adorait déjà travailler avec ces marmots; le mieux étant que, après chaque cours, après s’être éclaté avec eux et après leur avoir expliqué la différence entre les différentes planches de surf, ils retournaient tous chez eux avec leurs parents.

Con n’avait donc pas à faire face à l’heure du coucher, ni même aux devoirs pour l’école. Après leur départ, il ne restait plus que lui et sa bouteille de vin rouge du Parker House, tout droit sortie des collines fertiles de Green Valley.

Et l’océan, bien sûr.

Il pouvait toujours compter sur l’océan.

Noah fut le premier à arriver. C’était un petit gars âgé de onze ans, particulièrement intelligent, mais totalement incompris par sa mère ainsi que par ses frères et sœurs. Il était l’enfant cadet de sa fratrie. Celui que l’on ignore la plupart du temps, mais que l’on accuse à la première occasion. Conor pouvait s’identifier à cela. La maman de Noah avait commencé à l’amener aux cours de surf après que son thérapeute ait suggéré que le petit ait une activité pour lui seul, quelque chose qui lui permettrait de se sentir fier de lui-même.

Sa maman – sacrément sexy, vêtue d’un pantalon de yoga moulant et les cheveux toujours attachés en une queue de cheval – fit signe de la main à son fils qui trimballait péniblement sa planche de surf sur le sable. Tout comme Con, Noah portait déjà sa combinaison de plongée.

« Salut, dit-il.

— Prêt pour les vagues, l’asticot ? demanda Con avec son accent bien irlandais tout en descendant les marches de sa boutique qui donnait directement sur le sable froid et mouillé de la plage. Il ébouriffa les épais cheveux bruns de Noah, les faisant ainsi tomber sur ses yeux.

— Pourquoi est-ce que tu nous appelles toujours l’asticot ? Tu ne nous aimes pas ?

— C’est juste un petit surnom affectueux, Noah. Ça veut au contraire dire que je vous adore tous.

— Je crois bien que les asticots sont des larves de mouches, monsieur O’Neill.

Conor se mit à rire.

— Je te l’ai déjà dit, tu peux m’appeler Con, lui rappela-t-il.

Au même instant, deux autres voitures arrivèrent pour déposer deux autres élèves – un garçon et une fille…

— Monsieur O’Neill, t’as vu ma griffure ? Regarde ça. » Noah remonta la manche de sa combinaison pour montrer une longue et impressionnante ligne rouge. « C’est ma chatte qui me l’a fait quand on l’a amenée chez le vétérinaire. Maman dit qu’elle est encore jeune et que c’est pour ça qu’elle est un peu agressive.

— Alors essaie de ne pas la mettre en rogne », dit Con. Il sourit ensuite à Miquelle et Wenzel qui courait sur le sable pour les rejoindre. « Très bien, vous êtes tous là. On s’y met ? » Il frappa dans ses mains pour les motiver; ou bien pour se motiver lui-même, il n’en savait trop rien.

Miquelle fit un câlin à la jambe de Con, puis elle fit tourner sa planche de surf rose et jaune verticalement, encore et encore, comme une porte-tambour. « Ma mère dit que ton accent est sexy, mais mon père dit que tu n’es qu’un tire-au-flanc sans but. Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Sexy ça veut dire que je porte la combinaison de plongée comme personne. Allons-y. » Con se tourna alors vers l’océan et guida les enfants le long de la plage. D’autres voitures arrivèrent au bout de la route, près des immenses rochers, mais tous ses élèves étaient déjà là.

Miquelle se mit à rire. En quelques cours seulement, elle avait déjà saisi le sens de l’humour de Con.

« Elle veut dire, c’est quoi un tire-au-flanc, précisa le petit Wenzel âgé de dix ans, tout en traînant sa planche de surf sur le sable, laissant ainsi une longue trace derrière lui.

— J’ai bien compris ce qu’elle voulait dire, petit malin. Je ne faisais que plaisanter. Tire-au-flanc, ça veut dire que… » Il se tourna vers Miquelle qui marchait à sa gauche. « … que ton père ne me connait pas très bien. Je suis en réalité un homme d’affaires avisé qui a l’apparence d’un tire-au-flanc. Ça fait partie de mon charme », dit-il en lui offrant un sourire espiègle.

C’est en tout cas ce que Con espérait devenir : un homme d’affaires avisé. Il a toujours aimé l’océan, et après avoir quitté Dublin pour s’installer à Green Valley, il avait lié son fort attachement au Pacifique avec le rêve d’enfance de sa mère qui était d’ouvrir une boutique de surf. Bien sûr, cela lui avait permis de se sentir plus proche d’elle. Cela lui avait également permis d’apaiser sa peine. Mais cela lui avait surtout permis de se sentir ici chez lui. Ses frères avaient trouvé le même sentiment d’appartenance en ouvrant un nouveau restaurant, The Stylish Irish, situé à Forestville, à moins d’une heure de sa boutique. L’ouverture officielle était prévue pour jeudi, et Con n’avait aucun doute : ce serait un franc succès. Et cela malgré le fait que les frères O’Neill n’avaient pas bénéficié d’un accueil des plus chaleureux de la part de certains habitants de Green Valley, et en particulier de la part de leur grand-père maternel.

Peu importe.

Con et ses frères étaient solides; qu’importe le nombre de farces idiotes et de disputes qu’ils s’infligeaient (et il y en avait beaucoup), ils étaient inséparables. Même si Con vivait à une heure de route du restaurant, les cinq frères se retrouvaient au moins une fois par semaine autour d’une Guinness, et Con avait même passé de nombreuses heures à les aider à préparer l’ouverture du restaurant au cours des dernières semaines. Il était fier de ses frères, même si tout comme son père, ils ne le comprenaient pas tout à fait.

Pour eux, il serait toujours le rêveur qui s’intéresse à des trucs bizarres comme le yoga ou encore la méditation. Brady avait pratiquement roulé des yeux lorsque Con lui avait dit qu’il allait ouvrir un magasin de surf, et les jumeaux avaient plaisanté en disant qu’il serait le prochain membre de la famille à les quitter, tué par une attaque de requin. Mais malgré tout cela, Con se sentait totalement soutenu par ses frères.

Cela n’aurait sûrement pas été le cas avec son père…

Quand diable vas-tu enfin arriver au bout de quelque chose ? lui avait crié son père dans le bureau du restaurant familial, The Cranky Yankee, il y a deux ans de cela. Quand vas-tu enfin accomplir quelque chose, Con ? Cela ne s’était pas bien terminé. Après cela, ils ne s’étaient plus adressé la parole pendant plusieurs jours. Puis, quelques semaines plus tard, le Yankee a été sinistré par un incendie, et papa est mort d’une crise cardiaque.

Avec un peu de chance, son père pouvait le voir de là où il était. Sa mère a toujours été fière de son fils, elle l’a toujours défendu, quoi qu’il fasse. Mais son père ? Fervent catholique, il l’aurait très probablement réprimandé de donner des cours de surf un dimanche, le jour du Seigneur.

Con soupira et ferma les yeux.

Lorsqu’il les rouvrit, un enthousiasme renouvelé s’empara de lui. « Très bien, alignez-vous, les pieds écartés, et montrez-moi un peu votre souplesse. On lèvre les bras bien hauts, et on y va… » dit-il, face à ses trois élèves. Il adopta alors lui-même une posture Tadasana avant de lever les bras au-dessus de sa tête, puis il se pencha pour toucher le sable du bout des doigts. Les enfants copièrent Con, et firent, dans l’ordre, la posture du chien tête en bas, la posture du guerrier, la posture du triangle et, pour finir, la posture de l’enfant, le tout en étant attentifs à leur respiration ainsi qu’au bruit des vagues. Con était fier de ses petits scarabés.

Un peu plus loin sur la plage, à une vingtaine de mètres environ, une petite fête semblait sur le point de commencer près des gros rochers. À en juger par les vêtements des invités, il s’agissait d’une cérémonie de mariage. La mariée, qui se tenait dos aux élèves de Con, portait la robe de mariage la plus élaborée qu’il ait jamais vue. Tout autour d’elle, les demoiselles d’honneur portaient des robes vert clair qui flottaient sous l’effet de la brise marine. Elles tenaient toutes un bouquet de mariée rose. Les garçons d’honneur, quant à eux, étaient tous vêtus de smoking et ressemblaient à une bande d’imbéciles peu habitués à ce genre d’accoutrement.

Un photographe, âgé d’une cinquantaine d’années environ, se tenait mains croisées sur les genoux en attendant que tout le monde soit fin prêt. La sangle de son appareil photo appuyait fermement sur son gros ventre bien rond.

La mariée lançait des regards méprisants en direction de Con pendant que son fiancé semblait plus occupé à regarder ses ongles alors que tout le monde s’organisait autour de lui. Cependant, la personne la plus intéressante de cette drôle d’équipe était un beau spécimen de femme. Elle semblait orchestrer toute cette foule d’une main de fer. « Là, ici … non … dans l’autre sens. » Elle regarda alors en direction de Con et poussa un soupir d’exaspération. « À votre gauche. Non. Attendez une seconde. Je vais le voir. »

Bien que cette femme soit particulièrement difficile à ignorer, Con ferma les yeux et fit comme s’il n’avait pas vu qu’elle s’approchait d’eux. Des formes voluptueuses ? Oui ! Des cheveux châtains attachés en un chignon sexy ? Oui ! Maquillage impeccable, bien qu’il y soit peu habitué ? Oui ! Mais plus étonnant que tout : les talons hauts qu’elle portait malgré les circonstances. Con ne savait absolument pas comment elle parvenait à marcher dans le sable avec ces chaussures.

« Laisser filer votre stress, enseigna-t-il à ses jeunes élèves. Oubliez vos devoirs, oubliez ceux qui vous intimident à l’école, oubliez vos frères et vos sœurs qui vous cassent les pieds et ne vous comprennent pas. Moi, je vous comprends. L’océan vous comprend…., dit-il en inspirant profondément. Fermez les yeux et écoutez les vagues. Écoutez le son de…

—  Ahum. »

Con expira et entrouvrit un œil.

La pin-up se tenait là, les poings appuyés sur les hanches. Un rapide coup d’œil permit à Con de confirmer qu’elle ne portait pas d’alliance. Elle était vêtue d’une jolie jupe noire ainsi que d’un chemisier en dentelle légèrement ouvert, révélant une magnifique paire de seins bien calée dans un décolleté plongeant. Les enfants la regardèrent, puis ils se tournèrent tous vers Con dans l’expectative.

« Bonjour ? dit la femme avec plus qu’un tantinet d’agacement dans sa voix.

— Respirez, les enfants, poursuivit Con en refermant les yeux. Repoussez toute forme de distraction.

— Est-ce vous m’entendez, ou bien est-ce que vous m’ignorez ?

À travers ses paupières très légèrement entrouvertes, Con regarda la femme pour le moins irritée.

— Bien sûr qu’on vous entend. Ce n’est pas comme si vous passiez inaperçue, dit-il en lui offrant un sourire coquin. J’attendais simplement que vous soyez plus polie. Est-ce que je peux vous aider ?

Elle souffla et fit une grimace.

— À vrai dire, oui. Mes clients là-bas essaient de tirer profit du coucher du soleil pour leurs photos de mariage. Pourriez-vous vous pousser un peu le temps qu’on termine ? Ça ne devrait pas prendre plus d’une demi-heure. Merci, dit-elle.

Puis, juste comme ça, elle se retourna pour s’en aller.

— Trente minutes ? C’est le temps dont j’ai besoin pour terminer mon cours !

La femme s’arrêta et se tourna vers lui.

— Et vous m’en voyez désolée. Néanmoins, mes clients n’ont vraiment pas besoin d’une bande de surfeurs en arrière-plan de leurs photos commémoratives. Alors si vous pouviez, s’il vous plaît, aller un peu plus loin sur la plage, ou peut-être reculer vers la cabane, je vous en serais reconnaissante, dit-elle en pointant son doigt en direction de la boutique de Con, le Big CeltHuna, aux allures de chalet de plage, situé une dizaine de mètres derrière eux.

— Alors…, vous voulez que je fasse mon cours de surf là où il n’y a pas d’eau, remarqua Con en levant les sourcils pour mettre l’accent sur ce qu’il venait de dire.

La femme, plus belle encore que tous les raisins bien mûrs de Green Valley, plus belle que toutes les peintures des musées de Paris, croisa les bras sur sa poitrine généreuse et leva un de ses sourcils parfaitement soignés.

— Ce que je veux, dit-elle en faisant quelques pas déterminés dans sa direction, c’est que vous vous déplaciez avant de ruiner les photos de ma mariée. C’est compris ? »

— Mégère… », dit Con tout en cessant de s’étirer et avant de s’approcher lentement de Mademoiselle Je-Sais-Tout. Dieu qu’elle était belle. Incroyablement belle. Une véritable poupée de porcelaine avec des cheveux bruns, des yeux foncés, et de ces lèvres… « Je peux vous assurer que votre mariée ruine les photos toute seule avec une robe pareille », ricana Con. Les enfants se joignirent à lui et se mirent à glousser de rire en enfonçant leurs têtes dans leurs épaules.

« Est-ce que…, commença-t-elle à dire en penchant sa tête et en plissant ses adorables yeux. Est-ce que vous venez juste de m’appeler “mégère” ?

— Ma douce ? Minette ? Tigresse ? dit-il en portant son regard sur ses lèvres pulpeuses et maquillées d’un rouge rubis. Il se concentra sur la manière dont elle mordait légèrement l’intérieur de celles-ci ainsi que sur son subtil halètement. Il aimait tant l’effet qu’il pouvait avoir même sur les femmes les plus effrontées.

— Je n’ai pas le temps pour ce petit jeu, feula-t-elle. Contentez-vous de déguerpir de la plage. »

Si Con n’avait vu que du dédain et de l’exigence dans ses yeux, il aurait alors trouvé le moyen le plus poli de lui dire d’aller se faire voir. Mais en l’examinant, il remarqua le tremblement de sa lèvre inférieure ainsi que la lueur de panique dans ses yeux. Il remarqua également la manière dont elle luttait pour ne pas regarder le corps de Con. La rougeur qui venait d’imprégner son visage ne lui échappa pas non plus, et il aimait à penser que ce rougissement était lié à l’attraction physique plutôt qu’à l’agacement. Cette pauvre fille ne faisait manifestement que son travail, mais elle avait vraiment besoin d’apprendre à se détendre un peu. Il n’y avait pourtant pas mort d’homme, bordel de Dieu.

Mais tout de même, avant qu’il ne lui donne ce qu’elle voulait, Con ne pouvait résister à la tentation de la taquiner encore un peu. « Quel est le mot magique ? » demanda-t-il sur un ton d’instituteur. Derrière lui, Miquelle gloussa de rire.

La femme pour le moins fougueuse le regarda fixement l’espace d’un battement de cœur ou deux. Con sourit de toutes ses dents face à tant d’entêtement et il se demanda si elle parviendrait à dire le mot. « S’il vous plaît, finit-elle par dire entre ses dents serrées.

Con lui sourit victorieusement.

— Vos désirs sont des ordres, dame de mariage », dit-il avec une révérence galante. Il ramassa ensuite sa planche de surf qui était posée sur le sable, puis il la hissa sur sa tête.

« Allons-y les asticots, on va aller un peu plus loin sur la plage. J’ai entendu dire que les gens étaient plus gentils là-bas. » Il jeta alors un rapide coup d’œil derrière lui en direction de l’organisatrice de mariage, qui avait déjà parcouru plus de dix mètres en direction de ses clients, le tout sur des talons hauts de huit centimètres, sans vaciller et sans tomber.

Alors ça,c’est la grosse classe, pensa Con.

Et quel style.

 

 

Le coin de plage sur lequel ils se trouvaient maintenant formait une courbe qui les cachait du mariage. Le sable étant plus doux et moins chargé en galets, le spot était même davantage propice à l’apprentissage. Dans l’eau, les enfants étaient très à l’aise sur leurs planches de surf et chacun d’eux parvint à attraper au moins une vague. Seul Noah était à la traîne, mais à force de s’exercer, il trouva enfin son équilibre et se fit rapidement la main.

Une fois que les enfants eurent terminé d’affronter l’eau froide, ils firent un câlin à Con et lui promirent de regarder des vidéos de surf professionnel sur YouTube en guise de devoirs, puis ils retournèrent tous chez eux. Le soleil commença ensuite à se coucher et le photographe de la fête de mariage prit les derniers clichés. Conor ôta sa combinaison pour revêtir un short de surf ainsi qu’un sweat-shirt. Il décapsula ensuite une Guinness et s’assit sur sa balustrade en bois pour regarder la fête s’achever.

Mademoiselle Insolente valait certainement le coup d’œil. Dommage que son attitude soit aussi merdique. Mais tout de même, il passerait bien volontiers une nuit avec elle si elle était partante. Il était impossible qu’une femme aussi passionnée et intense à propos de son travail soit ennuyeuse au lit. Mais ça ne se produira malheureusement pas, pensa-t-il en s’apprêtant à entrer pour se préparer à dîner.

Mais à sa grande surprise, il vit que la femme au loin venait dans sa direction avec cette même démarche de mannequin malgré le sable. Alors qu’elle s’approchait, Con remarqua des traits d’apaisement et de calme sur son visage. Il prit une autre gorgée de sa Guinness puis descendit de la terrasse pour aller à sa rencontre en prenant délibérément un air exagérément surpris. « Je suis ravi de vous revoir, dit Con.

Impeccablement habillée, des ongles noirs manucurés et une sorte de porte-document de haute couture en bandoulière, elle lui offrit un sourire gêné.

— Je suis désolée pour tout à l’heure. Je me rends compte que j’ai dû passer pour une grosse connasse.

— Noooonnnnn, fit Con en fendant lentement l’air du revers de la main. Bien sûr que non. Aucun problème. » Wow. Une femme qui s’excuse ? C’est donc vrai. L’Amérique regorge de choses nouvelles et étonnantes.

Elle le regarda alors d’un air dubitatif. « C’est juste que nous avons déjà dû reporter cette séance photo plusieurs fois à cause du brouillard. Et quand une belle journée pointe enfin le bout de son nez, j’ai bien failli ne pas arriver à temps – j’habite presque à deux heures d’ici – et la mariée m’a fait une véritable crise de nerfs.

Elle était en train de vider son sac et, d’une certaine manière, Con se sentait honoré d’être le réceptacle de sa confiance. Même si cela ne durait qu’un instant.

— Je comprends.

— Alors merci. Vous m’avez sauvé les fesses. »

Conor écarquilla mentalement les yeux et pensant à toutes les autres choses qu’il aimerait faire à ses fesses. Surtout vêtue de cette jupe crayon. Mais il s’empressa de chasser ce fantasme et se concentra sur ses intenses yeux marron arborant également un soupçon de vert. Bien qu’elle ait l’air plus âgée que les vingt-cinq ans de Conor, sa peau était absolument parfaite. Vingt-huit ans, peut-être ? « Oh, vous auriez sûrement fait la même chose pour moi, mademoiselle, heu…

— Madlyn, dit-elle en lui offrant sa petite main. Sanchez.

— Madeleine Sanchez, répéta Con avec son fort accent irlandais tout en prenant sa délicate main dans la sienne. Peau douce. Bien hydratée. Aucune imperfection. Ongles manucurés.

— Non, c’est Mad-lyn, en deux syllabes. Un peu comme M’dame Linn. Madlyn.

— Laquelle des deux m’a-t-elle aboyée des ordres devant plusieurs jeunes enfants ? Est-ce M’dame Linn ou bien Madlyn ?  dit-il en souriant et en lui rendant sa main.

— Ah, oui, encore une fois, je suis désolée. Je peux devenir un peu folle quand je suis sous pression », dit-elle en faisant quelques pas en arrière.

La femme la plus classe, la plus sophistiquée, la plus entreprenante et, de surcroît, capable de présenter des excuses, était sur le point de sortir de sa vie, après quoi il ne la reverrait plus jamais.

« Bon, je vous laisse enfin tranquille.

— Écoute… », dit Con. Son instinct venait de prendre le contrôle. Même si une femme comme elle devait très certainement avoir des standards bien trop élevés pour un mec comme lui, il ne pouvait pas la laisser filer sans tenter sa chance. « Je suis sur le point de préparer un riz sauté aux crevettes, il y a du vin sur la table et tu es la femme la plus magnifique sur laquelle j’ai jamais posé les yeux. Et je peux t’assurer que ce ne sont pas des fausses paroles de charmeur. Je te le jure devant Dieu. Tu as carrément volé la vedette à la mariée, voilà ce que tu as fait.

Elle rougit et secoua la tête.

— Wow, merci.

— Alors, qu’est-ce que tu en penses ? Dîner ? Je suis un excellent cuisinier. »

Con savait qu’un sourire devait bien se cacher quelque part derrière ce joli visage, et enfin, il sortit de sa cachette. Même si elle décidait de partir immédiatement, de décliner son offre, même s’il ne la revoyait jamais, il aura au moins été récompensé par un sourire à couper le souffle, avec une dentition parfaite et des joues roses.

« Je ne peux pas.

Le cœur de Con se perça.

— Et merde, j’aurais au moins tenté le coup.

— Je veux dire, mes clients m’attendent. Je suis venue avec ma propre voiture, et ils vont se demander où je suis passée…

— Oh, on les emmerde.

Elle se mit à rire tout en secouant la tête, comme pour essayer de se convaincre de l’inverse.  — En plus, je dois rentrer chez moi.

— Et où est ton chez toi ?

— À San Francisco. Je séjourne chez ma cousine afin que nous puissions aller au salon du mariage demain. Je dois…, dit-elle avant d’être interrompue par son téléphone. Elle le sortit de la poche avant de son sac afin de voir qui essayait de la joindre. Con entendit un léger soupir s’échapper de ses lèvres.

— Tu dois quoi ? demanda-t-il. Elle avait probablement un petit ami à aller retrouver. Une femme comme elle avait très certainement un homme à ses pieds. Voire deux. Ou trois.

— Rien. Il se fait tard, mais merci quand même. J’apprécie vraiment ta proposition, heu… je ne crois pas connaître ton prénom.

— Conor O’Neill, le cœur brisé et l’opprimé, dit-il tout en levant sa bière – un toast à la femme la plus remarquable du monde.

Elle se mit alors à rire. Un son pétillant qui fit sourire Con.

— Ravie de te rencontrer, Conor. Je m’appelle Madlyn Sanchez, aussi connue sous le nom de Désolée-et-en-retard-pour-rentrer-à-la-maison. Mais merci encore d’avoir consenti à ma demande, dit-elle tout en baissant brièvement les yeux sur le corps de Con. Trop tard. Elle venait juste de le reluquer, et il l’avait remarqué. « Prends soin de toi.

— Toi aussi, mademoiselle Sanchez. » Il allait devoir vérifier ce que consenti voulait dire pendant son dîner.

Conor lui fit un petit signe de la main et la regarda s’éloigner. Non seulement elle était revenue le voir, mais en plus de cela elle avait sourit, rit, lui avait donné son nom afin qu’il puisse la contacter sur Internet, et maintenant… elle lui offrait une vue imprenable sur son derrière moulé dans cette jupe crayon alors qu’elle marchait avec aisance sur le sable.

Un magnifique spécimen.

Juste avant d’atteindre les rochers, elle s’arrêta.

« Allez, tu peux le faire… » marmonna Con. Il avait déjà eu l’occasion d’observer le comportement de nombreuses femmes dans différentes villes tout à travers l’Europe. Elles étaient toutes pareilles, même les plus hardies dans le genre de Madlyn. Elles ne pouvaient s’empêcher de s’abandonner à leur curiosité naturelle. Il s’agissait d’un jeu. Un jeu adorable auquel il aimait jouer.

C’est alors qu’elle le fit – elle lui donna raison. Elle tourna la tête pour le regarder une dernière fois à la lumière orangée du soleil couchant. Et juste avant qu’elle ne disparaisse pour de bon derrière les rochers, elle lui offrit un sourire qui en disait long, mettant ainsi un merveilleux terme à sa soirée. Ni les crevettes, ni le vin, ni même la vue somptueuse sur l’océan ne surpasseraient cela.

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